– 17 avril 2019 –
Au cours de la semaine passée, j’ai participé à un débat organisé en Hongrie à l’Est de ce pays, dans une région frontière avec la Slovaquie, l’Ukraine et la Roumanie (Transylvanie), dans la perspective des prochaines élections au Parlement européen. Le groupe S&D du Parlement européen développe en effet une campagne de proximité, en lien avec les citoyens et ses organisations politiques amies et partenaires partout en Europe.
J’ai ainsi vu ou revu de nombreux amis. Le portrait dressé par les uns et par les autres du pays est effrayant quant au pouvoir politique et économique de Viktor Orban et sur le système qu’il a mis en place depuis 2010. Dans ce contexte, il est peu probable que les prochaines élections européennes de mai 2019 remettent en cause la prééminence de Viktor Orban et de sa formation Fidesz. En revanche, pour l’automne 2019 où se tiendront des élections municipales, des accords implicites entre forces d’opposition de tous horizons voient le jour, y compris avec le Jobbik. L’enjeu est de conserver les quelques villes encore dirigées par d’autres formations que la Fidesz, mais aussi dans une perspective plus conquérante de gagner Budapest, ce qui aurait alors un fort écho, interne et externe.
Économiquement, le pays demeure fragile, encore très dépendant du flux d’aides européennes. Aussi est-il peu probable qu’Orban s’aventure vers une rupture avec l’Union européenne. Dans une logique du « faible au fort » et « «d’agressivité graduée», il va jouer pleinement les solidarités internes au Groupe de Visegrad face aux « grands » de l’UE (particulièrement France et Allemagne) pour limiter l’influence de ces derniers, se rapprocher des actuelles autorités italiennes, fréquenter les autres « grands » du monde (Poutine, Trump, voire Xi Jinping et Netanyahou) pour s’attirer leurs faveurs, sans pour autant cesser de bénéficier des soutiens et des fonds structurels européens.
L’année 2020 est une année que Viktor Orban prépare avec soin, et nous devons d’ores et déjà nous nous-mêmes y veiller. Ce sera le centenaire du Traité de Trianon (4 juin 1920), par lequel à la suite du Traité de Versailles (28 juin 1919) la Hongrie perdit 2/3 de son territoire «historique». Tout à son exaltation du régime autoritaire conduit par l’amiral Horthy entre les deux guerres mondiales (1), Viktor Orban a annoncé une commémoration «grandiose et tragique». Idéalisant un passé fantasmé, politiquement et moralement très discutable, Orban conduit les Hongrois à la désillusion et à l’amertume. Chacun de nos peuples européens est riche d’une grande et longue histoire, et aussi de moments tragiques et douloureux qui laissent parfois des blessures plus ou moins profondes et longues à cicatriser. Les Hongrois, ceux de Hongrie et ceux vivant dans les pays voisins, ont souffert de cette séparation bientôt centenaire. Particulièrement quelques-uns, qui ont subi de vraies ségrégations. Mais la mémoire hongroise doit aussi prendre en compte que la Hongrie d’après 1867 laissait bien peu de place aux autres peuples vivant alors sur son territoire…
Conduire son peuple vers l’avenir ne peut se faire en ayant les yeux rivés sur le rétroviseur. Là réside sans doute la plus belle, mais aussi la plus difficile, responsabilité pour celui ou celle qui prétend aux plus hautes fonctions d’un Etat. La Hongrie, riche de son passé millénaire certes, mais en assumant aussi ses zones d’ombre, doit aujourd’hui regarder devant elle pour construire son futur.
C’est parce qu’il avait vécu les ravages de deux guerres mondiales, les limites des traités de paix postérieurs à la Première et les lacunes de la Société des nations (SDN) dont il fut Secrétaire général adjoint, c’est parce qu’il n’en pouvait plus de ces torrents de haine réciproques, qu’à plus de 60 ans – l’âge où souvent on aspire enfin à un juste repos – Jean Monnet se lança à nouveau dans l’entreprise qu’est aujourd’hui l’Union européenne. En regardant et en traitant les problèmes alors devant lui : la reconstruction, l’industrie, l’énergie. En créant des institutions avec des mandats clairs et des procédures intelligibles, construites sur le droit et les principes démocratiques.
Aujourd’hui, nous aussi, citoyens et peuples d’Europe, en Hongrie comme partout en Europe, parce que les problèmes et questions à résoudre sont à tout le moins à cette échelle, nous devons jeter les bases de notre avenir et de celui de nos enfants, ensemble et démocratiquement, pour répondre à l’exigence d’approfondissement démocratique de nos concitoyens, à l’explosion démographique à l’échelle du monde, à l’épuisement des ressources naturelles et au changement climatique…
Pour y parvenir positivement, pour développer simultanément l’action pour les droits humains partout en Europe, nous devons adapter nos organisations, qu’elles soient syndicales, politiques ou de la société civile. Pour l’heure, elles sont trop peu européennes, leur fonctionnement et leurs priorités sont trop centrés sur leur agenda national, et les institutions de l’Union, quant à elles, consacrent trop peu de moyens à l’action citoyenne, trop en surface et pour quelques-uns, alors que ce doit être une priorité. Elles considèrent en effet – à tort – que cela doit venir après les politiques à mener, alors que c’en est la base, le fondement.
Les institutions européennes actuelles, le projet européen lui-même dans sa beauté utopique d’union des hommes par-delà la coalition des États, ne survivront que si nous parvenons à constituer l’agora, l’assemblée citoyenne européenne. C’est tout l’enjeu des élections en Europe du 23 au 26 mai 2019, et toutes les Citoyennes et tous les Citoyens de l’Union européenne sont appelés à relever ensemble ce défi démocratique !
(1) Responsable entre autres crimes de la déportation vers les camps de la mort de 437685 citoyens hongrois parce que juifs