– 21 avril 2022 –
Frédéric Charillon (sous la dir.), La France dans le monde, CNRS Editions, Paris 2021
Les derniers événements européens, en particulier sur le front oriental, et la guerre qui s’y déroule, accaparent les esprits et font perdre de vue la place qu’occupe réellement la République française dans les affaires européennes comme dans le reste du monde. L’excellent ouvrage dirigé par Frédéric Charillon, publié il y a déjà quelques temps, mérite une mention particulière, tant il permet de revenir aux différents points qui soutiennent, autorisent et rendent intelligible une politique.
Il y a quelques années, à travers le Que sais-je ? de Maxime Lefebvre sur la politique étrangère de la France, nous avons eu l’occasion de nous interroger sur les outils de la politique étrangère française et leur pertinence. Frédéric Charillon, entouré de nombreux experts, se livre à une enquête beaucoup plus détaillée. Dans son introduction, il rappelle aussi combien – avec des moyens limités – Emmanuel Macron, dans une tradition toute gaullienne que François Mitterrand en son temps avait aussi largement utilisée, tente de faire exister la France dans la vie internationale par des prises de position hardies jusqu’à en être hasardeuses. Cette diplomatie du verbe n’est pas sans impact positif, mais elle souligne aussi en creux la faiblesse des moyens réels d’intervention concrète et de suivi. En cette présidence française de l’Union européenne, que reste-t-il de l’ambition et de la perspective européennes tracées naguère à Athènes et à la Sorbonne (7 et 26 septembre 2017) ? Que dire, à l’heure où nous écrivons ces lignes, de l’entretien publié par The Economist le 7 novembre 2019 concernant la mort cérébrale de l’OTAN ?
Les défis
Aussi l’ouvrage s’attache-t-il, pas-à-pas, à examiner les facteurs internes qui président à l’action extérieure, qu’ils soient politiques ou plus sociologiques. Puis, ensuite, à regarder d’un peu plus près quelques-uns des principaux défis auxquels la France doit faire face. Dans une dernière partie, l’ouvrage s’achève sur l’examen des moyens, diplomatiques et militaires, et leur évolution, mais aussi sur la stratégie d’ensemble.
Ne pouvant rendre compte et discuter l’ensemble des contributions à cet ouvrage, je souligne cependant l’analyse fine du rapport à la Russie qu’établit Florent Parmentier, l’examen sans fard de Jean-Robert Jouanny sur la puissance économique et commerciale de la France, l’intérêt des contributions sur l’Indo-Pacifique et sur la politique africaine. Parmi les défis à relever, la description précise par Barbara Kunz des difficultés de la coopération franco-allemande est passionnante, tant elle met en relief les obstacles, incompréhensions et frictions. Et pourtant, ce tandem est plus que jamais nécessaire pour renforcer l’UE, même s’il n’est pas à lui seul suffisant.
Alors que la haute fonction publique est profondément bouleversée par l’action du gouvernement et du président de la République, les réflexions sur le Quai d’Orsay de Christian Lequesne résonnent et font écho. Et que dire de l’interrogation d’Olivier Schmitt sur la soutenabilité des interventions et actions militaires françaises sous de multiples formes ?
On en vient nécessairement à la stratégie d’ensemble. Thierry Balzacq développe dans sa contribution son intuition. L’évolution depuis les années 90 de la stratégie de la « Grandeur », initiée (pour aller vite) par de Gaulle et suivie par ses successeurs, vers un « engagement libéral » dans lequel la France se fondrait peu-à-à-peu, pour ne plus beaucoup se distinguer de la plupart de ses homologues européens et occidentaux. Une forme de normalisation dans les instances européennes et occidentales en somme, sanctionnée par le retour dans le commandement intégré de l’OTAN et par un investissement accru dans l’ensemble des institutions européennes (UE, Conseil de l’Europe, OSCE, …) productrices de normes et d’accords.
Tout cela mériterait, dans ces colonnes mais davantage encore dans la société, un débat plus précis et argumenté que nos concitoyens ou leurs représentants dans les assemblées parlementaires devraient pouvoir trancher.
Un débat à mener
De ce point de vue, il faut remarquer que le débat organisé à l’Assemblée nationale le 1er février 2022 sur le document Feuille de route de l’influence élaboré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec Jean-Yves Le Drian et les parlementaires délégués par des différents groupes politiques était intéressant, mais trop court et trop formel. Un tel document, publié en fin de mandat législatif et présidentiel, a une ambition d’une autre nature et plus longue dans le temps. Il faut donc, démocratiquement, en élargir l’audience.
De la même manière, alors que se déroule une campagne présidentielle singulière assourdie par le conflit ukrainien, les autorités françaises doivent bientôt clore, dans le cadre de la présidence de l’Union européenne, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, lancée l’an passé et ouverte à tous les citoyens européens. En dépit d’un soutien officiel incontestable, il faut souligner que cette conférence transeuropéenne n’a absolument pas été soutenue par les administrations françaises, ni dans les écoles et les universités, pas davantage par les grands médias et vecteurs d’information.
Le présent ouvrage stimule l’esprit, fournit beaucoup d’informations et de données, appelle au débat. Aux citoyens engagés et actifs dans la cité de s’en saisir et d’en prolonger les effets, puisqu’à l’évidence nul autre ne s’en empare !
Ce billet a été initialement publié dans le numéro d’avril 2022 de L’OURS, mensuel socialiste de critique politique et culturelle..