– 20 mai 2019 –
The Federalist, a political review
Year LIX, 2017
Pavie 2017 EDIF 144 p
Consultable sur le site web www.thefederalist.eu
En 1997, disparaissait Mario Albertini, universitaire italien théoricien du fédéralisme. La revue qu’il a fondée en 1959, Il Federalista, rivista di politica (publiée aussi, à divers moments de son histoire en français et en anglais), vient d’éditer à l’occasion du 20e anniversaire de sa disparition les actes (ici en italien et en anglais) d’une journée d’études qui lui a été consacrée en novembre 2017 à l’Université de Pavie.
Cette publication permet de mesurer l’originalité de la pensée d’Albertini au sein de l’école fédéraliste italienne, souvent occultée par la personnalité charismatique d’Altiero Spinelli dont l’action politique et les fonctions européennes furent plus visibles pour le grand public.
Une théorie originale
Les trois premiers articles permettent de baliser le chemin qui a amené Albertini à construire une théorie originale du fédéralisme. L’historien Sergio Pistone explicite le travail d’Albertini dans sa critique d’un fédéralisme qui ne serait qu’une théorie de l’État fédéral, d’Hamilton à Spinelli en quelque sorte, et du «fédéralisme intégral» ou du «fédéralisme global» illustré par Proudhon et, plus récemment, par Denis de Rougemont et Alexandre Marc. A partir de ces deux bornes, Albertini va s’efforcer d’établir les trois traits fondamentaux du fédéralisme, par ses valeurs, ses spécificités structurelles et dans ses dimensions sociaux-historiques. Concernant les valeurs, à juste titre, Pistone met particulièrement l’accent sur la paix et la perspective kantienne d’Albertini. Au frontispice de la revue The Federalist figurent toujours quelques lignes qui rappellent que la revue entend «servir en premier lieu la cause de la paix». Né en 1919, Mario Albertini a été durablement marqué par l’expérience fasciste italienne, comme dévoiement de l’État national mais aussi comme principal fauteur de guerre et de conflit. Son engagement fédéraliste comme sa critique de l’Etat national, étudiés par Francesco Battegazzore, sont aussi l’expression de cette expérience douloureuse.
Concernant les aspects structurels du fédéralisme versus d’autres formes d’organisation, à la suite d’Hamilton et nourri des travaux de Kenneth Wheare, Albertini distingue un État fédéral ou fédération, qui est un État d’États, d’une confédération qui est une Union d’États. Dans une fédération, le pouvoir législatif et le contrôle de l’exécutif sont exercés par deux chambres, l’une représentant le peuple dans son ensemble, la seconde les États membres. Chaque niveau dispose de l’autonomie fiscale pour financer les services et les politiques dont il a la responsabilité. Rien de tel, bien sûr, dans le schéma confédéral, où la souveraineté des États membres demeure – pour l’essentiel – entière.
Sur la dimension socio-historique du fédéralisme, troisième et dernier aspect majeur identifié, Sergio Pistone revient sur la lecture de l’état du fédéralisme américain tel que l’analysait Albertini. Sur ce point, l’actualité récente ne dément pas l’analyse globale d’Albertini concernant le caractère imparfait, limité et fragile de ce dernier. Sans doute, le caractère « atténué » de la lutte de classes qu’il observe mériterait un examen détaillé et en tant que tel. Mais le point essentiel est que, pour Albertini, il ne peut y avoir de vraie fédération tant que l’humanité, dans son ensemble, ne s’organise pas elle-même selon les principes et projets kantiens de paix perpétuelle. Aussi le combat pour une Europe fédérale pour être complet doit aussi être un combat pour l’organisation mondiale et fédérale. Comme le montre Luisa Trumellini dans sa contribution, c’est sans doute là l’originalité la plus notable du travail théorique d’Albertini, d’avoir tenté une synthèse originale et un retournement singulier de Kant et de Marx, les outils théoriques et pratiques analysés, révélés et créés par Marx au service de l’humanité unie dans une société enfin harmonieuse, et fédérale, telle qu’imaginée et rêvée par Kant.
Le militant
Dans une perspective marxiste conséquente, soucieux d’un véritable aller-retour entre pratique politique, objectifs stratégiques et savoir académique, Mario Albertini est aussi un militant et un responsable politiques au service du MFE et de l’UEF, qui continuellement s’efforce de penser l’outil, l’organisation politique au service de la finalité qu’elle se propose de servir. Plusieurs communications et articles (Giovanni Vigo, Giulia Rossolillo) y sont consacrés. Ils mettent en évidence la dimension révolutionnaire et centrale que Mario Albertini (et avant lui Spinelli) portèrent à la création et au développement du MFE et de ses cadres militants, choisis et formés pour qu’ils soient indépendants matériellement et «professionnels» comme militants. Au sein des mouvements européistes et fédéralistes, ce souci et cette rigueur quasi léninistes demeurent, à mon sens, uniques.
En clôture de ce dossier, on lira avec intérêt l’article de Sergio Fabbrini qui ouvre une perspective intéressante sur l’actualité et la pertinence du travail théorique d’Albertini pour résoudre la crise actuelle de légitimité et d’efficacité de l’Union européenne, par une méthode (notamment constitutionnelle) que seul le fédéralisme démocratique peut fournir.
Cet article a été initialement publié dans le n°488 (mai 2019) de L’OURS, mensuel socialiste de critique littéraire, culturelle et artistique.