Pour la France, puissance moyenne, quelle politique étrangère ?

Pour la France, puissance moyenne, quelle politique étrangère ?
4 avril 2020 jojo23

– 4 avril 2020 –

Maxime Lefebvre, La politique étrangère de la France, coll. Que sais-je ? n°4157, Paris 2019, 9 EUR

Après quelques autres ouvrages du même type et dans la même collection, notamment sur la politique étrangère américaine et sur celle de l’Union européenne, Maxime Lefebvre – lui-même diplomate mais aussi brillant analyste des relations européennes et internationales – s’interroge sur les ressorts historiques, les outils et les orientations d’une politique étrangère de la France en ce début de XXIè siècle.

Comme il le rappelle justement, la France est le produit, le résultat d’une volonté et d’un désir de puissance. Elle est une rupture, elle s’affirme par rapport à l’ordre ancien ou à ceux qui prétendent incarner sa continuation (le Saint Empire romain germanique). Par la succession et l’action de chacun de ses rois puis par la Révolution française, elle s’affirme comme nation, en agrégeant sur un territoire particulier des populations disparates autour de valeurs à vocation universelles.

Maxime Lefebvre souligne après Hubert Védrine et avec raison que la France – avec peut-être les Etats-Unis d’Amérique – est une « nation politique » ou une « nation projet », elle ne se fonde pas sur une identité ethnique ou simplement historique et/ou culturelle. Il mentionne – sans s’y attarder, alors que ce n’est pas sans lien – que le projet européen est dans son essence du même ordre.

Une chose est sûre, et l’exposé qu’en fait Maxime Lefebvre dans les pages suivantes l’explicite pleinement, la politique étrangère de la France, dans ses relations avec son voisinage européen, a été au cours des derniers siècles profondément marquée par cette volonté d’affirmation et de puissance. Il en retrace précisément les grandes étapes, depuis l’origine jusqu’à la période la plus récente, Emmanuel Macron président de la République. Sans peut-être même le vouloir, il met ainsi en évidence la proximité et la parenté de la diplomatie des trois derniers présidents, combien la diplomatie française avec ceux-là s’est « normalisée » par rapport à celles des autres Etats de l’UE. Il présente, plus loin dans l’ouvrage, la grande permanence de cette politique depuis 1945 autour de quelques axes (engagement européen, alliance occidentale, volonté d’influence mondiale), mais aussi combien les deux premiers peu-à-peu pèsent et finalement contribuent à réduire le troisième, le tout sans véritable vision continue et de moyen terme. Les quelques lignes consacrées à la stratégie française des relations européennes et internationales réduite le plus souvent à une stratégie essentiellement militaire (l’exercice régulier des Livres blancs notamment) rendent compte – par leur concision même – de l’énorme lacune ainsi révélée, sans structure adaptée susceptible d’être largement nourrie par les travaux administratifs, académiques, de « think tanks » et enrichie par les débats parlementaires.

Parmi les acteurs et outils de la politique étrangère, très classiquement, Maxime Lefebvre procède à un inventaire institutionnel, de la présidence de la République aux assemblées parlementaires, en passant par Matignon et le Quai d’Orsay. Il a plus de difficulté à évoquer l’activité diplomatique des partis politiques, des collectivités territoriales, des syndicats et des organisations de la société civile. Il y a là un paradoxe tout français : une forte volonté d’affirmer une présence par un réseau diplomatique parmi les plus dense au monde, mais aussi une incapacité jusqu’au sommet de l’Etat à hiérarchiser dans la durée les points à développer ou les cibles à atteindre et, aussi, l’incapacité à développer des outils autres qu’étatiques, administratifs et bureaucratiques.

Il y a au fond, et sans qu’il l’énonce, comme un grand regret ou une grande tristesse de l’auteur de voir tous ces outils se réduire d’année en année comme peau de chagrin et les diplomates crier misère, faute de moyens et d’argent. Il est tenté d’y voir la perte de puissance de la France, sa perte de puissance économique particulièrement. Ce n’est pas faux, bien sûr, et il n’a pas tort d’affirmer dans sa conclusion que « c’est d’abord en se fortifiant à l’intérieur, politiquement, économiquement, (…) que la France continuera à peser ».

Mais il n’est pas possible non plus de ne pas s’interroger sur les diverses réformes des outils de la diplomatie française au cours des 30 ou 40 dernières années sans inventaire plus précis, que ce soit dans le domaine de la culture et de la langue française comme dans le domaine de l’économie, et en comparaison avec les autres Etats dans le monde nourrissant une ambition.

Bien informé et bien écrit, l’ouvrage une fois refermé laisse au lecteur quelques questions ouvertes à laquelle il a liberté pour répondre : aujourd’hui, la fille des Lumières qu’est la République française, ses dirigeants actuels et ses citoyens, conservent-ils encore une ambition et un message universels ? Entendent-ils encore les porter et les incarner ? Comment tout cela doit-il et peut-il se conjuguer dans un cadre européen ?

Merci à Maxime Lefebvre de nous permettre grâce à ce petit livre alerte de nous fournir quelques matériaux si nous nous préoccupons d’y répondre !

Cet article a été initialement publié dans l’OURS n°497 (avril 2020)