– 24 janvier 2021 –
Barack Obama, Une terre promise, Librairie Arthème Fayard
Il était bien difficile d’échapper en France au lancement planétaire du premier tome des mémoires de l’ancien président des Etats-Unis d’Amérique ces dernières semaines, entre entretien télévisé « exclusif » sur France 2 à une heure de grande écoute, diffusé ensuite sur toutes les chaînes de France Télévisions en boucle, et décliné quelques jours plus tard dans la presse écrite dans un hebdomadaire à fort tirage, « avec le poids des mots et le choc des photo » comme disait naguère Jean Cau. Ce marketing agressif et excessif parasite assurément la réception de l’ouvrage, mais il ne doit pas rebuter la lecture effective des 800 pages, bien écrites, qui se dévorent.
Elles ne peuvent être résumées ici, mais insistons sur quelques points. Tout d’abord, il faut souligner la volonté du Président Obama de mettre en scène lui-même le récit de son enfance, des événements qui l’ont marqué et sa relation avec son épouse Michelle et leurs enfants. Non sans sincérité sans doute.
Ensuite, elles décrivent par le menu la réalité de la vie politique américaine, à ses différents niveaux, localement à travers l’action au sein d’une ONG intercommunautaire avec différentes églises et paroisses que le jeune Obama a réalisée encore jeune et l’échec de l’expérience d’Harold Washington à la mairie de Chicago, le rôle des assemblées législatives au niveau de l’Etat que découvre le jeune Obama comme sénateur à Springfield, capitale de l’Illinois, enfin la vie fédérale à Washington qu’il découvre comme sénateur fédéral puis comme président. A chacun de ces niveaux du système institutionnel américain, la vie politique a des caractéristiques propres mais aussi des points communs : faible participation de l’ensemble des électeurs, importance des accords ni partisans ni transparents entre forces politiquement actives dans les instances, … A plusieurs reprises au cours de son récit, Barack Obama insiste sur la nécessité de disposer de moyens financiers qui, y compris pour une campagne dans un seul Etat, semblent vus d’ici colossaux pour réaliser une campagne « publicitaire » à travers tous les médias, particulièrement via les chaînes télévisées. Dans cette analyse de la vie politique américaine, l’ancien président n’élude pas non plus l’importance des coups bas et, avec l’émergence du Tea Party aux marges du Parti Républicain et de personnalités populistes (Sarah Palin puis Donald Trump), l’effet dévastateur des « fake news » dont pour lui l’expérience douloureuse concernant le doute sur son certificat de naissance et sur sa nationalité américaine de naissance.
Barack Obama restera pour l’histoire le premier président afro-américain. Toutefois, si sa lutte s’inspire et parachève les luttes pour les droits civiques des années 60 et suivantes, menées par celles et ceux qui dans les diverses communautés ont milité des années durant pour les droits des afro-américains, la perspective politique de Barack Obama est autre, remontant à la fois plus loin dans le temps et plus large : il met ses pas dans ceux des fondateurs de l’Union (plus Hamilton que Jefferson), il prolonge ceux de Lincoln, pour construire une « cité nouvelle » et démocratique où peuvent vivre ensemble des citoyens de tous horizons ethniques, religieux ou communautaires, laboratoire d’une terre mondialisée. Ce projet global embrasse et dépasse les combats pour les droits précédents, mais il nécessite une participation citoyenne active, d’où l’importance donnée par Barack Obama au cours de ses campagnes aux porte-à-porte et à la mobilisation des électeurs, poursuivie par ses candidats.
Enfin, la lecture de l’ouvrage confirme l’intérêt de Barack Obama pour la marche du monde et l’importance qu’il attache à l’adéquation entre les valeurs qu’il prône et la politique internationale menée. De nombreuses pages y sont consacrées, celles sur le « printemps arabe », les changements dans les différents pays concernés (Tunisie, Egypte…) et celle sur la guerre en Libye contre Khadafi sont à ce propos passionnantes et éclairantes, sur les doutes, les choix opérés, et le rôle des différents entourages et conseillers jusqu’à la décision.
Le livre refermé, on ne peut que s’interroger sur ce destin déjà extraordinaire mais aussi sur le cours qu’il va désormais suivre. L’élection de son ancien vice-président Joseph Biden aux plus hautes fonctions sonne comme une revanche contre Trump. L’avenir est ouvert !
Ce billet a été initialement publié dans le numéro de janvier 2021 de L’OURS, journal mensuel de critique politique et culturelle.