– 25 mars 2019 –
Dans la dernière livraison de la revue fondée naguère par Raymond Aron, mon ami et camarade Bernard Poignant nous livre un beau témoignage sur son engagement politique et dans le temps (1). Attaché et acteur de cette famille et de cette histoire politiques, le regard rétrospectif de Bernard Poignant fait écho et prolonge pour moi la réflexion entamée en pleine tourmente par l’OURS après les événements de 2017 (2).
Le propos de Bernard Poignant est cependant plus large. Remontant jusqu’au début des années 60, il revient sur les conditions de mise en place de la Vème République – particulièrement l’élection au suffrage universel direct du Président de la République – et leur impact structurant sur l’organisation de la vie publique. Il souligne avec justesse combien François Mitterrand fut alors le seul à gauche à en comprendre véritablement la portée, éliminant alors politiquement et de façon méthodique tous ses adversaires à gauche (Guy Mollet, Pierre Mendès France, Gaston Deferre) pour finalement s’imposer seul (3). Il y a donc une seule séquence historique de 1965 à 2017, pendant laquelle avec François Mitterrand puis ses successeurs, la SFIO devenue Parti socialiste PS établit son leadership sur toute la gauche.
La question européenne et le rapport à l’UE ont été – dans la durée – une importante pomme de discorde interne à la famille socialiste et à la «gauche de gouvernement», de la CED au Traité de Lisbonne, et à bien des égards le demeurent. Bernard Poignant rend hommage à l’habilité de François Mitterrand sur le sujet, et il invite à apprécier ce que fut la difficulté et, finalement, l’impossibilité pour François Hollande jusqu’à l’empêcher de poursuivre, écartelé qu’il était par l’incompatibilité fondamentale entre deux lignes, entre deux attitudes dans le rapport au reste de l’Europe et du monde. François Hollande, et avec lui Bernard Poignant et beaucoup d’autres dont moi-même, ont fait – après Guy Mollet et Christian Pineau lors des Traités de Rome et François Mitterrand durant toute sa période de présidence – un choix il y a longtemps : celui de l’insertion de la France et de son économie dans un ensemble européen structuré et fonctionnant selon des règles communes, établies ensemble au début des années 90 (Traité de Maastricht). Ces règles communes, qui rendent possible la stabilité de notre monnaie commune, doivent être observées par tous les États, la France comme les autres. La politique économique et fiscale de François Hollande est l’expression opérationnelle de cette orientation.
Bernard Poignant en précise les moments : publication du rapport sur la compétitivité de l’économie française de Louis Gallois (novembre 2012), CICE (loi de finances 2013 votée fin 2012), Pacte de responsabilité (janvier 2014)…
Les événements du premier semestre 2017 achèvent la séquence ouverte en 1965 où le Parti socialiste a peu-à-peu exercé durant la période sa domination sur toute la gauche. La page suivante est à écrire par celles et ceux qui, aujourd’hui sont et demain seront à la tête du Parti socialiste. Un revers, aussi grave et profond soit-il, n’est pas une disparition. L’exigence d’égalité de droit, la demande de libertés individuelles et collectives, l’aspiration à la paix en France, en Europe et dans le monde sont toujours des moteurs puissants et mobilisateurs de nos sociétés. Le Parti socialiste en France, le PSE en Europe et les organisations socialistes internationales dans le monde veulent-ils et parviendront-ils à en (re)devenir les vecteurs ?
(1) Bernard Poignant, «mon demi-siècle socialiste», Commentaire, n°165, Printemps 2019, pp.61-68
(2) «Que s’est-il passé ? Parti socialiste – avril-juin 2017», Recherche socialiste n°80-81, Office universitaire de recherche socialiste, Paris 2017
(3) Ceux-là n’étaient pas mus nécessairement par les mêmes ressorts et motivations. On se reportera à ce propos au très beau livre de François Stasse «La Morale de l’histoire. Mitterrand – Mendès France (1943-1982)», Editions du Seuil, Paris 1994