Pour une éducation civique européenne !

Pour une éducation civique européenne !
28 février 2019 jojo23

28 février 2019 –

Les dernières informations glanées dans les médias sont particulièrement perturbantes pour les citoyens sincèrement engagés pour une société meilleure : hausse spectaculaire en France au cours de l’année dernière des actes antisémites recensés, campagne publique mensongère et infâme en Hongrie, etc… Où que l’on se tourne en Europe, les mêmes tendances au repli nationaliste teintées de racisme et d’antisémitisme sont à l’œuvre et progressent, tant dans les mouvements sociaux que lors des élections démocratiques.

Les initiatives citoyennes du type de celle prise par le Premier secrétaire du PS Olivier Faure appelant à des manifestations dignes mardi 19 février 2019 sont bienvenues, utiles et heureuses. Mais elles ne peuvent suffire. Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur cette situation, ébaucher des hypothèses pour tenter d’expliquer cette régression de la conscience de nos concitoyens dans nos pays européens et démocratiques, pourquoi ce repli sur l’espace national, voire infranational ?

À gauche particulièrement, la lecture que nous sommes toujours tentés d’apporter pour expliquer cette régression renvoie presque toujours aux conditions économiques, sociales et culturelles, en établissant un lien de causalité entre la crise économique et financière d’après 2007 et la progression de ces mouvements extrémistes et populistes, établissant aussi souvent un parallèle plus ou moins explicite avec le climat des années 30 en Europe et la montée des fascismes. Mais cette lecture s’avère faiblement explicative lorsqu’il s’agit de décrire le climat et la situation politiques en Europe centrale où, nonobstant une situation économique enviable et très largement positive par rapport à celle des années 80 et 90, les populations locales élisent confortablement des majorités politiques qui alimentent sciemment une forme de contre-révolution contre les «dogmes ouest-européens» de tolérance et de multicultarisme, se (re)présentant elles-mêmes en «rempart de la chrétienté». La simple dénonciation et stigmatisation de ces autorités gouvernementales démocratiquement élues dans les pays concernés par la société civile et les forces démocratiques des pays ouest-européens («illibéralisme» ou «démocratie illibérale») n’est d’aucun secours concret dans les pays concernés eux-mêmes aux démocrates sincères qui y sont actifs. Nous devons donc – pour comprendre nous-mêmes ce qui se joue dans nos sociétés comme pour apporter un véritable concours à nos amis des pays d’Europe centrale – approfondir ensemble la réflexion.

Peter Verovsek (Université de Sheffield) invite à compléter l’explication trop exclusivement économique et sociale (1)]. Il met en évidence, en Europe centrale comme dans l’ouest européen, ce qu’il appelle des «dynamiques d’oubli», dans lequel le changement générationnel d’une part, la perte de mémoire ou de souvenir de ce que fut la «guerre totale» et les horreurs qu’elle produisit d’autre part, jouent un rôle essentiel.

C’est la force du «Plus jamais çà !» dans toutes les mémoires européennes et dans le monde d’alors qui permit la mise en place d’organisations européennes (Conseil de l’Europe et UE) et internationales (Nations Unies et ses agences) et de textes instituant des droits pour tous les humains, par-delà leur appartenance à des entités humaines collectives (États, nations, familles spirituelles ou idéologiques) : Déclaration universelle des droits de l’homme, Convention de Genève relative au statut des réfugiés, Convention européenne des droits de l’homme…

Les personnalités porteuses de ces projets aujourd’hui aboutis avaient connu la triste séquence qui va de 1914 à 1945, et toutes ses abominations. Jean Monnet, né en 1888, est de celles-là, et ses Mémoires demeurent de ce point de vue une lecture édifiante. La génération suivante a prolongé et approfondi ces premières étapes, en ouvrant les frontières intra-européennes (Schengen), en créant une monnaie commune (Euro), en renforçant la démocratie supranationale en donnant plus de pouvoirs et de compétences au Parlement européen. Mais avec le tournant du siècle et le début du nouveau millénaire, partout sur le continent européen et particulièrement en Europe centrale et orientale, une nouvelle génération n’ayant pas connu les souffrances et les drames des guerres engendrées par le nationalisme exacerbé se prend à rêver aux vertus fantasmées d’une souveraineté nationale – à peine recouvrée en Europe centrale et orientale – en stigmatisant et condamnant tous les envahisseurs (humains, marchandises ou idées) susceptibles de perturber cet ordre idéal.

En outre, celles et ceux qui – par fonction – devraient porter et faire vivre l’esprit de concorde entre les peuples, les droits humains, qui que l’on soit et où que l’on soit, et les valeurs européennes (enseignants, responsables politiques, autorités administratives dans les Etats membres comme au niveau européen…) le font trop peu, mal, voire pas du tout… Aujourd’hui, les institutions européennes elles-mêmes, particulièrement la Commission européenne pourtant moralement gardienne des traités européens fondateurs, délaissent cette tâche qui pourtant leur incombent et ne soutiennent pas celles et ceux qui, laborieusement, difficilement, avec de (trop) faibles moyens, s’évertuent jour après jour à tenter de faire vivre cette mémoire et ce souvenir actifs et opérationnels. Le président de l’Association Jean Monnet que je suis le sait particulièrement et douloureusement.

Il faut aujourd’hui et sérieusement s’attaquer, partout en Europe, à cette inertie collective de celles et ceux qui devraient être les soutiens des valeurs et de l’idéal européens et mobiliser tous les acteurs concernés. Le développement d’un «civisme européen», notamment par des programmes adaptés dans tous les pays membres «d’éducation civique européenne» est une nécessité et une urgence. Le soutien aux échanges au sein de la société civile européenne doit être intensifié et non réduit, comme le laisse craindre le nouveau cadre budgétaire actuellement en discussion au sein de l’UE. Les institutions communautaires doivent consentir à plus d’efforts en ce sens, particulièrement en Europe centrale et orientale où les États membres tentent de limiter son action, sa capacité de diffusion et son impact. J’ai évoqué sur ce blog il y a quelques semaines le manque cruel d’échanges nourris et sur l’Europe entre citoyens britanniques et citoyens des autres États membres, en particulier avec les citoyens français, alors que nos peuples ensemble ont vaincu les fascismes et le nazisme. C’est une des causes majeures du Brexit, et nous en portons tous la responsabilité historique.

Ouvrons désormais les yeux et agissons fermement pour ne pas hâter le retour de la Peste !

(1) Le travail de recherches de Peter Verovsek porte sur la mémoire de la Seconde guerre mondiale, l’empreinte laissée dans les esprits par la Seconde guerre mondiale et les organisations internationales et européennes instituées dans l’immédiat après-guerre pour éviter le retour de la barbarie. Il a publié au cours de la dernière période deux contributions sur ce que nous évoquons via le media Social Europe socialeurope.eu : «Migration and forgetting in central Europe» (20 décembre 2018) et, plus récemment, «The loss of European Memory» (12 février 2019).