Lucien, l’autre Bonaparte

Lucien, l’autre Bonaparte
28 novembre 2021 jojo23

– 28 novembre 2021 –

En cette année de bicentenaire de la disparition de Napoléon Bonaparte, les parutions ont été nombreuses et de qualité variable. La persistance du mythe napoléonien en France interroge, particulièrement au sein de la gauche politique. Une partie de la gauche veut continuer de voir en lui l’héritier de la Révolution française et celui qui en stabilise les acquis. Pour ma part, je partage plutôt la lecture critique qu’en propose Lionel Jospin dans son ouvrage consacré à la geste napoléonienne (1). A travers sa biographie de Lucien Bonaparte, Cédric Lewandowski – à travers le parcours du Prince de Canino et les relations, difficiles, qu’il entretint avec son frère- conforte cette perspective, en soulignant en creux les limites de Napoléon, pas seulement affectives et fraternelles, mais aussi tactiques et politiques. (À propos de Cédric Lewandowski, Lucien Bonaparte. Le prince républicain, Editions Passés composés / Humansis 2019, 24 euros)

Sans taire les failles caractérielles, les emportements, les ambiguïtés aussi, de Lucien Bonaparte, Cédric Lewandowski n’en dresse pas pour autant un portrait à charge, comme d’autres biographes attachés au culte napoléonien ont pu le faire naguère (2). Il souligne à l’inverse ses constances et ses fidélités, en dépit de ses faiblesses et de ses limites : attachement au souvenir de sa première épouse décédée, à sa seconde épouse contre la volonté de l’Empereur et les pressions nombreuses des autres membres du clan, à ses enfants. Sur un plan plus politique, Lewandowski met en évidence la connaissance intime de Lucien de la vie et des assemblées du Directoire et son attachement à la constitution de l’an VIII et aux institutions du premier Consulat. Le Coup d’Etat de Brumaire est bien sûr le moment clef, où Lucien permet à son frère de parvenir au faîte. L’opposition de Lucien aux étapes suivantes de la geste napoléonienne est souvent lue comme l’incapacité – voire la jalousie – de Lucien d’accepter la nouvelle situation née du coup d’Etat qui installe Napoléon avant l’Empire.

Cédric Lewandowski propose une autre interprétation, plus favorable à Lucien. Conscient des insuffisances du Directoire qui prolongeait la Révolution française, Lucien aurait voulues les corriger par de nouvelles institutions républicaines dont Sieyès était le promoteur, d’où Brumaire et le Consulat. Le dévoiement ou le détournement de celles-ci par Napoléon et l’affirmation du pouvoir personnel amenant logiquement ensuite Lucien à s’opposer au Consulat à vie, puis à l’Empire.

Cette lecture avantageuse pour Lucien, Cédric Lewandowski la prolonge avec la présence de Lucien, avec Lazare Carnot et quelques autres, auprès de son frère pendant les Cent jours. Il souligne son rôle actif dans les heures et jours immédiatement consécutifs à Waterloo, alors que Napoléon – abattu et déprimé – demeure indécis.

Outre le plaisir de retrouver une période et nombre d’événements et de personnages familiers, cette biographie offre une réflexion politique sur le Premier empire et, plus globalement, sur les dangers du pouvoir personnel qu’à la veille d’échéances présidentielles on ne peut négliger.

(1) Lionel Jospin, Le mal napoléonien, Editions du Seuil, Paris 2014, Point Seuil n° P4038 (2015), L’ours 438

(2) Gilbert Martineau, Lucien Bonaparte, Prince de Canino, Editions France-Empire, Paris 1989

Ce billet a été initialement publié sur le site de L’OURS, office universitaire de recherche socialiste.</p