– 10 mars 2024 –
Charles Baudelaire fut un grand critique d’art, excellent connaisseur des arts d’hier pour mieux promouvoir l’art de son temps et les avant-gardes. C’est ce qu’il exprime comme une prière à travers Les Phares, ce poème de nous tous appris naguère lors de notre scolarité. Ce qui est vrai pour l’art l’est, plus globalement, pour les autres activités humaines. Le parcours et l’exemple de quelques-unes des personnes étudiées ou rencontrées nous élèvent ainsi moralement et nous éclairent pour comprendre et agir aujourd’hui et demain. Les figures de Jacques Delors et de Robert Badinter, tout deux récemment disparus, sont de cet ordre. Par « correspondance » eût dit Baudelaire, elles sont des « phares » de notre temps. L’émotion suscitée par la disparition de l’un puis de l’autre exprime l’empreinte qu’ils laissent, l’un et l’autre et chacun à sa manière, dans notre esprit voire dans notre cœur. Ils avaient rejoint, par des chemins propres, François Mitterrand dans l’odyssée qui le conduisit à la Présidence de la République. Ils jouèrent ensuite, auprès de lui mais aussi pour nous tous, un rôle marquant. Leur probité personnelle et leur vision de l’humanité demeurent des exemples de dévouement et d’action publics.
Jacques Delors (1925-2023)
Disparu en fin d’année dernière, Jacques Delors est l’un des fondateurs de l’Union européenne. Il lui donna une impulsion décisive comme Président de la Commission européenne (1985-1995). Plus que d’autres sans doute, il avait conscience que la construction européenne, pour se réaliser, devait partir de compromis acceptables entre les différents acteurs, qu’ils soient nationaux (France, Allemagne, Italie, …) comme sociaux (représentants des travailleurs et représentants des entreprises) et pour aboutir à des réalités concrètes (mise en place de l’Euro, fin des postes de douane entre pays européens, programme d’échanges étudiant Erasmus, …). Comme d’autres avant lui, il ne put réaliser tout ce qu’il souhaitait et portait en lui. Sans céder à l’amertume, il espérait que les générations futures, pas trop tard, prendraient le relai.
Robert Badinter (1928-2024)
Au cours des dernières semaines, beaucoup a été écrit et dit sur Robert Badinter, particulièrement concernant son rôle majeur pour l’abolition de la peine de mort, qui fut son grand combat et celui de toute la gauche de ces années-là. Il rappelait souvent cet argument emprunté à Victor Hugo, qu’il citait : « Il y a un droit qu’on ne saurait retirer à quiconque. C’est le droit de devenir meilleur ». En plus de l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter fut un grand ministre de la Justice. Il abolit les juridictions d’exception, en particulier la Cour de sûreté de l’Etat de sinistre mémoire. Il élargit les droits individuels, particulièrement celui des victimes. Il permit le recours des justiciables devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il avait foi en l’humain, en dépit de tous les accidents de l’existence. Il pensait que le droit doit être fait par et pour les humains, donc s’adapter à chaque époque.
Ces personnalités et leurs actions peuvent sembler lointaines. Aujourd’hui encore, cela constitue pourtant en partie le cadre de nos vies, qu’il s’agisse de la monnaie que l’on utilise ou des droits dont on peut heureusement jouir. Ces acquis sont cependant fragiles, toujours à consolider et à développer. Tel est notre devoir à tous comme citoyens, leur exemple pour boussole.
Ce billet a été initialement publié dans le numéro de mars 2024 de Vivre Ensemble, le magazine municipal de la ville de Créteil.