– 9 avril 2019 –
Le roi des Numides Micipsa – alors âgé et moribond – parlait ainsi à ses deux fils Adherbal et Hiempsal et à son neveu Jugurtha (fils de son frère Mastanabal et d’une concubine), nous rapporte Salluste, pour les exhorter à taire leurs rivalités et à rester ensemble et unis. Comme on le sait, ils n’en firent rien, et ainsi commencèrent les guerres de Jugurtha. Aujourd’hui, les siècles ont passé, l’ombre de Rome, voire celle de Carthage, portent encore sous le soleil, mais quel souvenir reste-t-il du grand royaume constitué jadis par les Numides ? A peine quelques vestiges archéologiques du côté de l’actuelle Constantine…
Le propos du vieux Micipsa, via Salluste, a cependant survécu et franchi les siècles, à travers corporations artisanales, guildes de marchands et autres compagnies des temps antiques au Moyen-Âge, puis à l’époque moderne. Aussi n’est-il pas surprenant que la jeune République des Provinces-Unies en retient la première moitié (« Concordia parvae res crescunt »), en fait sa devise et l’inscrit sur ses monnaies. Rejetant tant la férule catholique et romaine que l’absolutisme des Habsbourg d’Espagne, sept provinces des Pays-Bas sur dix-sept font sécession, fondent la République des Provinces-Unies et apprennent à cultiver la tolérance, spirituelle, philosophique et politique, accueillant bientôt tous les proscrits des pays voisins, juifs, huguenots et autres. Cette république et ses idéaux essaiment ailleurs, jusque dans le Nouveau Monde vers la Nouvelle Amsterdam.
Plus tard, inspiré aussi par d’autres auteurs classiques, cet idéal d’unité reconnaissant les entités qui la constituent, est au cœur de la révolte des colonies qui s’émancipent de Londres et qui se déclarent unanimement Etats-Unis d’Amérique en 1776. E pluribus unum, en treize lettres pour les treize États désormais unis, dit cela explicitement. Tout ne fut pas et n’est pas toujours si simple, bien sûr, mais il est vrai aussi que les États-Unis accueillirent tous les proscrits et rejetés du monde entier, particulièrement d’Europe, et à diverses reprises au cours de l’histoire européenne dramatique et tourmentée. Les diverses orientations spirituelles et confessions purent ainsi s’y réfugier et, éventuellement, s’y développer.
Beaucoup plus tard, la laïcité « à la française », défendue et précisée par Aristide Briand notamment, ne dit pas autre chose : permettre à chaque citoyenne et à chaque citoyen de vivre ses choix métaphysiques et spirituels tout en participant et en contribuant avec sa personnalité à la République française. Très justement, après la multiplication recensée d’actes antisémites et de vandalisme dans les églises, après la manifestation citoyenne du 19 février 2019, Serge Barcellini revient dans la revue trimestrielle du Souvenir français (n°514, avril 2019) sur les conditions de création de l’ossuaire de Douaumont, avec en son centre une chapelle et à ses deux extrémités un monument israélite et un mémorial musulman. Il rappelle que le premier fut inauguré en 1936 « en réponse à tous ceux qui faisaient courir le bruit que les juifs n’avaient pas combattu et qu’ils ne seraient jamais de bons Français », et que le second le fut certes beaucoup plus tard, en 1996, mais là encore pour répondre par la pierre à celles et ceux qui laissaient entendre que les musulmans ne pouvaient prétendre être de «bons Français», alors que les médias diffusaient en boucle les images de banlieues enflammées et que s’annonçait le terrorisme islamiste. Au quotidien, le Souvenir français cultive toujours la mémoire de tous ceux, juifs, catholiques, musulmans, protestants, animistes et laïques qui ont un jour été capables de dépasser leur destin individuel jusqu’au sacrifice pour les valeurs et idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité de la République française.
Aujourd’hui, alors que partout en Europe et ailleurs dans le monde, par peur et par crainte plus que par opposition fondamentale, chacun est tenté de se recroqueviller sur une identité restreinte plus ou moins fantasmée, qu’elle soit ethnique, spirituelle, culturelle et linguistique ou d’une autre nature encore, l’affirmation positive de Micipsa selon laquelle la démarche collective et solidaire – en dépit de ses difficultés – est la moins dangereuse pour chacun et la plus sûre pour tous est une exigence morale et un devoir politique. Non, l’Europe n’est ni chrétienne, ni juive ni musulmane, ni non plus seulement fille des Lumières et de l’athéisme philosophique, elle est et ceci et cela, tout à la fois. Et elle est constituée de peuples nombreux au passé riche et estimable, mais aussi de citoyennes et de citoyens libres et égaux en droit. Petits par la taille, héritiers de l’esprit des Provinces-Unies, des Etats comme la Belgique rappellent aussi que « L’Union fait la force » tout en inventant un modèle fédéral ingénieux qui s’efforce de concilier les identités plurielles de ses citoyens, qu’elles soient politiques ou culturelles et linguistiques notamment.
Depuis le début des années 2000, adaptant la sagesse du vieux Numide à nos temps, l’Union européenne s’est trouvée pour devise In varietate Concordia (« Unie dans la diversité »). Les prochaines élections au suffrage universel direct du Parlement européen du 23 au 26 mai 2019 sont le moment d’affirmer fortement l’unité et la concorde nécessaires des citoyens et des peuples européens. Votons et faisons voter autour de nous !